Vous trouverez dans ce post les extraits de 10 à 14
Le dernière fournée arrivera ce week-end. D'ici-là, je pense que j'aurais fini de rédiger l'intégralité de ce roman. En attendant : bonne lecture :)
Extrait 10 et 11 : "Vous y passerez tous !" (parties 1 et 2 fusionnées.)
Contexte :
La troupe a marché toute la nuit. Aux première lueurs de l'aurore, la fatigue s'abat sur eux. Karl décide d'une halte afin que les hommes se reposent. Ne trouvant pas de clairière, il décide de faire installer le campement au milieu du sentier et organise des tours de garde.
La scène est vécue du point de vue d'Igor.
Extraits :
Karl et
Fleiser le rejoignent brièvement. Tous deux vont inspecter le périmètre et
positionner les hommes. Le Major a choisi de veiller, lui aussi, laissant à
Igor la responsabilité du second tour de garde. Il acquiesce sans un mot, mais
se satisfait de cette décision. Karl ne lui a toujours posé aucune question.
Peut-être y a-t-il renoncé.
Autour de
lui, les hommes déploient leur tente du mieux qu'ils peuvent. Le sentier
présente l'avantage d'être à peu près régulier. Il n'est pas assez large pour
étaler toute la toile, mais la présence des troncs et des racines aide à les
fixer. En s'y prenant bien, on peut y déployer sa couche sans subir de creux ou
de bosses. Il ne lui faut qu'une poignée de minutes pour s'installer. Au loin,
il entend encore les pas des soldats de faction. Parfois, la voix de Karl ou de
Fleiser lui parvient, sans qu'il comprenne ce qu'ils disent. Ses paupières
papillonnent de plus en plus. Il a vraiment besoin de repos.
Il décide
toutefois de s'assurer que tout aille bien pour les premiers hommes qui vont
avoir la chance de se reposer enfin. Alexej et Benedikt ont déjà disparu sous
la toile kaki. Il doit marcher dans les hautes herbes et contourner les racines
pour passer entre les tentes. En cas d'attaque soviétique, malgré la distance laissée
entre chaque campement, il serait très difficile de circuler. L'espace d'un
instant, il pense à rappeler les troupes à l'ordre, puis il observe
l'environnement. Par endroit, les racines dépassent de plus de trente
centimètres du sol. Elles sont noueuses et épaisses. Les herbes hautes en
masquent d'autres. Sur le côté gauche, des lierres ont envahi la base des
chênes et des tilleuls. Malgré la clarté su jour, maintenant bien nette, il ne
voit pas à plus de quinze mètres au travers des troncs, des branches et des
feuilles. Les pas de chaque homme sont audibles. Si les soviets arrivent, ils
les entendront de très loin et eux ne pourront progresser que très lentement.
Il
rebrousse chemin et revient vers sa tente. Il lui semble voir soudain une nappe
brumeuse, à quelques dizaines de pas de lui. Il plisse les yeux et regarde à
nouveau. Non, ce n'est pas de la brume, réalise-t-il. Avant que son esprit
puisse formuler la moindre pensée, un hurlement de terreur résonne. Son souffle
se coupe net.
Igor
accourt vers le nord du campement, tout près de là où sa propre tente est
plantée. Bien sûr, ce n'est pas de la sienne que viennent les hurlements. Les
masses spectrales se sont posées au-dessus de la tente de Benedikt. Il se prend
les pieds dans une racine d'arbre et s'étale à terre. Il parvient, avec ses
avant-bras, à amortir sa chute. Un cri long et aigü, chargé de souffrance,
retentit à nouveau. Il n'est plus qu'à une poignée de mètres d'eux, mais déjà,
il lui semble les voir plus nettement que lorsqu'ils ont tué Otto.
La toile de
tente du tchèque masque l'horreur qu'il est en train de subir. Igor ne voit de
ces spectres que le haut du corps. Il se force à se relever, à s'approcher
encore, tandis que d'autres soldats accourent.
À l'autre
bout du camp, des hurlements se mettent à retentir également. Igor tourne la
tête nerveusement. Piotr se tient juste derrière lui, les yeux rivés vers la
tente de Benedikt. Il est aussi livide que les spectres. Ses yeux sont
exorbités, ses mâchoires crispées par l'effroi.
Il les voit.
La panique générale s'empare des
soldats. Chacun accoure vers les hurlements les plus proches. Karl et Hermann
accourent depuis la forêt et se ruent sur la tente. Ils en coupent les liens et
l'arrachent du sol. Benedikt est recroquevillé sur lui-même, sur le flanc.
Trois spectres se tiennent au-dessus de lui. Leurs visages secs grimacent de
cruauté à chaque fois qu'ils plantent leur arme dans le corps de leur victime.
Chaque nouveau coup fait jaillir un fluide translucide. Le jeune conscrit gémit,
mais ne hurle plus. Karl s'agenouille auprès de lui et le secoue, ignorant tout
de ce qui lui arrive en réalité.
— Benedikt
! C'est moi, c'est Karl. Parle-moi.
— J'ai
maaal, lance-t-il d'une voix emplie de sanglots.
— Où ça ?
Dis-moi où tu as mal.
Un des
spectres se penche et plante son arme, sorte de longue lame, dans l'épaule de
Benedikt. Il hurle de douleur, cette fois. Il suit le mouvement imprimé par son
agresseur et se tourne sur le dos. Un autre esprit enfonce son arme dans la
cuisse droite de sa victime et il tend la jambe. Alexej se jette sur son
compatriote et lui crie quelque chose dans leur langue commune. Karl ne bouge
plus, il n'ose rien dire ni rien faire. Quand le troisième spectre plante sa
lame dans le flanc de Benedikt, au travers d'Alexej, ce dernier ne ressent
rien. Mais Benedikt pousse un cri atroce, mélange de pleurs et de douleurs. Il
hurle alors quelque chose dans sa langue et Alexej soulève sa tête.
Les
spectres maintiennent leur victime allongé sur le dos. Igor voit les traits de
son visage devenir si pâles qu'ils se confondent avec ceux de ses agresseurs.
Il ne résiste plus, ses forces l'ont presque abandonné. Des flots de liquide
translucide coulent de son corps, par les plaies que les monstres lui ont
infligé. Tandis qu'Alexej lui secoue la tête, une lame fantomatique se pose sur
le front de Benedikt et glisse lentement le long de son visage. Le jeune
tchèque hurle. De sa main gauche, il tente de repousser l'arme qui le déchire,
mais en vain. Alexej lâche la tête de son compatriote et se tourne vers le
Major, qui ne quitte plus Benedikt des yeux.
Un frisson
glacial parcourt Igor. Un spectre passe à travers lui et avance vers le jeune
tchèque. Dans la main droite, il tient la tête torturée et grimaçante d'Oliver,
un soldat discret et silencieux. Son nez proéminant semble bien plus petit
devant sa bouche grande ouverte. Si grande qu'Igor peine à imaginer qu'une
telle ouverture soit possible sans qu'on lui ait brisé la mâchoire. Celui qui
semble être le chef de la horde spectrale confie son trophée à celui qui vient
de lacérer le visage de Benedikt. Igor le voit avec une effroyable netteté. Son
visage est atroce, boursouflé. Son habit rappelle de très anciens uniformes. Il
brandit un sabre au-dessus du jeune tchèque qui le fixe. Plus aucun son ne sort
de sa gorge. Déjà, le visage de Benedikt est devenu brumeux, translucide. Il
est presque mort. Le spectre se penche vers lui, sans un mot et d'un coup sec
tranche son cou. La tête fantomatique du soldat roule, tandis que son visage
humain se fige sur une expression de terreur et de douleur. Alors qu'Alexej
crie et secoue la carcasse sans vie de son compatriote, le chef des spectres se
penche et ramasse son second trophée. Deux autres les ont rejoint, ils sont
six. Six monstres assassins qui lèvent les bras en signe de victoire et
poussent des cris qui résonnent comme des souffle graves et rauques.
Le sang
d'Igor se fige quand le chef de la meute se tourne vers lui et le désigne avec
son sabre. Il s'approche lentement, glissant sur le sol comme un serpent. Le
cœur du sergent-chef menace de s'arrêter. Le spectre se tient maintenant à deux
mètres de lui. La lame de son arme est à peine à dix centimètres de sa gorge.
Est-ce son tour ?
Le monstre
est affreux, défiguré. Ses yeux ne sont que deux points brillants au milieu
d'un cloaque qui, jadis, dût être de la chair et des os. Igor remarque à peine
l'étrange couvre-chef qui le coiffe.
— Vous y passerez tous ![1]
lui lance cette voix qui n'est qu'un murmure dans son esprit.
Pendant quelques secondes,
semblables à une éternité, le spectre le regarde. Il doit se délecter de la
terreur qu'il inflige, parce qu'un sourire se dessine sur ses traits brumeux.
Puis, il baisse son arme et rejoint les siens. Ils se décomposent en une nappe
de brouillard et, en quelques instants, disparaissent.
[1]
En français
Extrait 12 : Dissensions et révélations.
Contexte :
Après le décès de Benedikt, Igor est obligé d'admettre qu'il savait qu'Otto avait été tué par des spectres. Il justifie son silence en affirmant qu'il ne voulait pas créer un mouvement de panique au sein du groupe et, surtout, qu'il espérait qu'Otto serait l'unique victime.
Son explication passe mal, en particulier auprès du grand soldat autrichien nomme Harald, qui n'hésite pas à le bousculer verbalement et à prôner la fuite.
C'est Harald qui prend la parole dans la première réplique de l'extrait.
Extrait :
— Les
soviets on peut les flinguer, au moins. Je préfère affronter toute l'armée
rouge que des putains de fantômes.
Une rumeur
se lève dans les rangs. Quelques-uns approuvent le grand Harald. D'autres
visages sont plus fermés, septiques.
— Tu as
raison, les ruskovs, on peut les flinguer, répond l'adjudant avec un calme
incroyable. Quelques-uns en tout cas, parce qu'à quelques milliers contre nous
trente, ce sera vite vu. Dans le meilleur des cas, tu te feras tuer, cribler de
balles. Au pire, ils se contenteront de te blesser, de te désarmer. Et ils
t'emmèneront dans leurs goulags. Ce n'est pas quelques minutes de souffrance
qui t'attendent là-bas, mon vieux. C'est des semaines, des mois d'humiliation,
de torture, de travaux forcés, jusqu'à ce que tu ne puisses même plus lever les
bras. Alors ils te laisseront crever de faim et de soif, bien en évidence, au
milieu du camp, pour que tu serves d'exemple à tous les autres prisonniers.
Un violent
silence écrase les hommes. Tous savent que l'adjudant Hermann Fleiser dit vrai.
Igor a même entendu des choses plus horribles encore sur la façon dont les
soviets traitent leurs prisonniers.
— Alors,
reprend Fleiser, moi je préfère encore ces putains de spectres. Parce que de
toute évidence, ils n'attaquent pas n'importe quand. C'est uniquement quand on
s'arrête qu'ils viennent nous frapper.
— C'est
vrai, rebondit Karl. Otto a été tué à notre première halte. Oliver et Benedikt
maintenant, alors qu'ils s'apprêtaient à…
Ses yeux
s'arrondissent soudain, il porte sa main à sa bouche, comme pris d'un nouvel
effroi.
— Qu'est-ce
qui se passe, Major ?
— Je crois
que je viens de comprendre, reprend-il d'une voix blanche. Ils attaquent quand
on dort.
Fleiser se
tourne vers Karl, Igor l'imite. Puis, les deux sous-officiers se regardent. Le
calme de l'adjudant se fissure.
— On ne
peut pas dormir ? demande simplement Hermann.
— Je crois
que non, adjudant. Il faut vérifier ça. Wilhelm ? appelle le Major.
— Je suis
là, répond-il en s'approchant.
Les hommes
se sont massés autour des tentes, mais aucun n'ose se mêler aux arbres. Ils
sont sur le sentier, entre les tentes, par petits groupes. L'infirmier se fraie
un chemin parmi les soldats.
— Wilhelm,
après que tu aies opéré Otto, est-ce qu'il était fatigué ?
— Oui,
épuisé, même. La douleur de sa blessure l'avait éreinté, sans compter la
descente d'adrénaline qui a suivi la fin de l'extraction de la balle.
— Tu crois
qu'il s'est endormi rapidement ?
— J'y
mettrai ma main à couper.
— Ouais,
intervient Harald, comme tu nous disais qu'il était mort d'une crise cardiaque,
hein ? Des conneries !
— Harald,
surveille ton langage, intervient Karl avec autorité.
Le grand
autrichien lève les yeux au ciel et fait non de la tête.
— Bon.
Alexej, est-ce que Benedikt était très fatigué ?
— Oui,
répond je jeune tchèque. Comme moi, d'ailleurs. On n'attendait que ça depuis
qu'on est parti de la clairière, pouvoir dormir.
— D'accord.
Qui était avec Oliver ?
— Moi,
répond Einrich. Et oui, il était épuisé aussi. Il me disait que ça faisait
trois nuits qu'il n'avait pas dormi.
— Alors,
c'est bien ça, conclut Karl d'une voix basse. Si on a le malheur de s'endormir,
ils arrivent et nous tuent.
— Ouais,
c'est ça, rétorque Harald. Alors plus personne ne va pioncer, et un autre
d'entre nous va quand même mourir en hurlant. Et ce sera quoi la prochaine
théorie fumeuse, Major ?
Le visage de
l’autrichien s'est empourpré sous la colère. Karl s'avance vers lui, le fixant
droit dans les yeux. Il lui rend une demi-tête, mais dégage bien plus de force
et d’assurance que son contradicteur.
—
Écoute-moi bien, soldat. Peu importent les circonstances, je reste ton Major.
Continue à me parler comme ça, et je te considère comme traître à la patrie,
avec tout ce que ça implique. C'est clair ?
— Vous ne
me ferez rien, réplique Harald avec une moindre assurance.
— Tu me connais mal, mon garçon.
Extraits 13 et 14 : Tacatac et fugue.
Contexte :
Suite à l'altercation verbale avec Harald, Karl incite Igor à lui dire tout ce qu'il a vu lors de la mort d'Otto. Pendant ce temps, la troupe se restaure. Werner choisit de s'installer sur une branche d'arbre. Depuis ce point de vue, masqué en partie par les feuilles, il peut tout voir sans être vu. Lorsque Karl ressort de sa tente avec Igor, il forme binômes et trinômes et incite les soldats à se parler et se soutenir. Le danger soviétique semble écarté pour le moment.
Extrait :
Ses ordres
donnés, il se tourne vers Olienkov, juste à côté de lui. En dessous de Werner,
Harald et Lars chuchotent encore. Ils se retournent vers Wolfgang et Klaus. Ils
s'échangent un simple hochement de tête puis se lèvent sans hâte.
Ces
quatre-là mijotent quelque chose, pense Werner. Il tourne la tête vers le major
et le sergent-chef. Fleiser les a rejoints, ils discutent ensemble. Les autres
soldats retournent à leur campement, toujours aussi abattus. Le quatuor file de
tente en tente, ils rassemblent les affaires des uns et des autres avec vigueur
et rapidité. De toute la troupe, ils sont les seuls à faire preuve de
motivation. Du haut de sa branche, Werner les voit bien. Ils sont à vingt
mètres de lui, affairés à démonter le campement de Lars. Un cinquième homme
s'approche d'eux, un conscrit au visage balafré dont Werner ignore le nom. Ils
échangent quelques mots à voix basse, puis Harald opine du chef. Il semble être
le meneur de ce petit groupe.
Werner a
déjà mangé, il ne lui reste que son campement à ranger. Quinze minutes lui
suffiront amplement. Il décide de rester en observation. Sa discrétion au sein
de la troupe porte ses fruits. Personne ne pense à lui, on l'oublie comme un
rêve le matin. Sans compter que les feuilles d'un tilleur voisin masquent en
partie la vue de la bande. Leurs regards se tournent vers les sous-officiers
qui continuent à discuter, statiques. Le major jette bien un regard de temps à
autres par-dessus l'épaule de Fleiser, mais il ne semble s'apercevoir de rien.
Les quatre
filent aider leur nouvelle recrue à ranger son campement. Werner doit leur
reconnaître une belle efficacité. Ils sont rigoureux, méthodiques, chacun tient
son rôle et l'exécute sans le moindre accroc. Alors que les autres sont mous,
eux se dépêchent. Cela ne peut vouloir dire qu'une seule chose, pense-t-il.
Les
sous-officiers se séparent. Olienkov remonte vers son campement. Fleiser
redescend vers le sien, au milieu du groupe. Il jette un œil aux cinq suspects,
qui se sont assis à côté de leur paquetage en arc de cercle. Puis, il entame le
démontage de sa tente, sans leur accorder plus d'attention. Pendant deux bonnes
minutes, ils restent immobiles, jetant des regards furtifs vers l'adjudant. Ils
attendent une occasion. C'est Hans qui la leur sert sur un plateau en venant
proposer son aide à l'adjudant. Celui-ci se déplace et commence à replier la
toile de son campement tandis que le gamin rassemble les piquets et les
tendeurs.
En silence,
les uns après les autres, les cinq se lèvent. Ils n'ont d'yeux que pour
Fleiser, le plus proche des sous-officiers. Le seul à même de les voir,
pensent-ils. Werner pose la main sur la crosse de son K98 et replie ses jambes
sur la branche de l'arbre. Son angle de tir n'est pas idéal, mais il ne peut
pas se permettre de faire de bruit pour le moment.
Harald
ouvre la marche et pénètre au milieu des arbres. Il fait une quinzaine de
mètres, puis deux autres le suivent. Wolfgang reste fixé sur Fleiser tandis que
Klaus attend un signe de Harald. Le grand autrichien a encore fait quelques pas
vers l'est. Werner ne voit que ses jambes, derrière le tronc d'un grand pin. Il
fait un signe. Les deux derniers quittent le sentier et les rejoignent. C'est
le moment d'agir.
—
Déserteurs ! hurle Werner en se tournant sur sa branche.
Les cinq le
cherchent du regard. Trop tard, il ouvre le feu avec son fusil mitrailleur. Il
ne parvient pas à toucher Harald, mais Lars tombe à terre. Il s'interrompt et
vise maintenant Klaus et Wolfgang. Ils l'ont repéré et cherchent à s'abriter. Werner
tire, peut-être un peu tard. Déjà, Harald file.
— Cessez-le
feu, ordonne Fleiser qui arrive avec son Schmeisser à la main.
Werner ne
l'écoute pas et tire sur Harald, malgré le peu de chances qu'il a de
l'atteindre.
— Halte au
feu ! ordonne le major de sa voix puissante. Werner, si tu tires encore une
fois je t'abats !
Werner ne
quitte pas ses cibles des yeux. Son chargeur est presque vide. Seul
l'autrichien a pu fuir, mais les quatre autres sont toujours planqués derrière
les arbres. Il devine une moitié de visage qui l'observe et attend le moment où
il relâchera son attention.
— Major,
nous avons affaire à cinq déserteurs ! Vous connaissez les ordres aussi bien
que moi, personne ne déserte l'armée du Reich !
Silence.
Les quatre ne bougent toujours pas. Harald n'est plus en vue. Soudain, quelque
chose heurte Werner à la tête avec violence. Il se rattrape à la branche sur
laquelle il est assis et se retourne, furieux.
En bas, à
moins de deux mètres, le major le tient en joue, tandis que Fleiser tient un
gros caillou dans la main.
— Les
ordres, c'est moi qui les donne, ici. Descend de cet arbre tout de suite.
— Mon seul
maître est le Führer ! C'est lui qui donne les ordres à tout le monde !
— Si tu
n'es pas en bas dans cinq secondes, je te considère comme mutin, et comme le
préconise le führer, je te fais fusiller.
Friedmann
le met en joue avec son revolver, un Wahlter P38. Une excellente arme, qu'il
semble avoir bien en main. Werner n'aura jamais le temps de tourner son fusil
contre lui, il n'a aucune chance, d'autant qu'Olienkov arrive, arme à la main
également.
— D'accord,
lance Werner fou de rage. Je vais descendre. Mais dès que nous seront à
Briansk, major, vous devrez répondre de votre erreur à la gestapo.
— Jette ton
arme, sergent Klemper et magne-toi.
Il
s'exécute et laisse choir son K98 à terre. Aussitôt, Fleiser la ramasse et
s'écarte de sous la branche. Werner se laisse tomber sur ses pieds et se
rétablit sans mal. Il consent à peine à lever les mains. Du regard, il fusille
le major.
— Si je
comprends bien, vous appliquez les ordres du Führer quand ça vous arrange,
major.
Le visage
de Friedmann s'empourpre. Son index presse un peu plus fort sur la gâchette du
Wahlter, puis finit par se relâcher. Sans quitter Werner des yeux, il s'adresse
à ses sous-officiers en second.
—
Désarmez-moi ça. Attachez-le et fermez-lui sa gueule. Je n'en ai pas fini avec lui.
Olienkov et
Fleiser lui attrapent les poignets et l'attachent dans le dos sans ménagement.
Friedmann marche vers les arbres où se terraient les réfugiés.
— Harald,
les autres, qu'est-ce que vous foutez nom de Dieu ? lance-t-il.
— On ne
déserte pas, major, répond la voix lointaine de l'autrichien. On repart par l'est.
Rendez-vous à Briansk.
— Vous
allez vous faire buter par les soviets, il n'y que des plaines à l'est, ça va
grouiller de ruskovs. Revenez, ne soyez pas cons !
Sa phrase
se perd parmi les arbres. Le silence, de plus en plus lourd, est la seule
réponse qu’il obtient. Le major s’avance malgré tout vers les arbres où les
fuyards se cachaient. Il s’accroupit à l’endroit où la balle de Werner a touché
Lars. Pendant quelques secondes, il se tourne et lance au jeune sergent son
regard le plus glacial.
Oui,
je leur ai tiré dessus, et oui, j’ai touché un de ces traîtres. J’espère qu’il
crèvera comme Otto, Oliver et le tchèque.
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