Et en ce domaine, vous allez être servis car, des extraits, j'en avais quand même publié 25 en tout.
Je vais étaler tout ça sur plusieurs jours, car je ne crois pas que vous ayez le temps de tout lire d'une traite. Donc, pour commencer, voici les 5 premiers extraits, issus du début du récit.
Extrait 1 : Le refuge (version modifiée).
16 juillet 1943
Un obus
explose à trente mètres de lui, projetant fumée et terre. Assourdi, le major
Karl Friedmann s’accroupit et porte ses avant-bras contre ses oreilles. Au
travers des fragments de terre et des volutes de fumée qui se dissipent, il
observe l’horizon. Depuis l’est, au loin, il distingue déjà plusieurs
silhouettes de blindés. Dans cette grande plaine de boue, que se disputent des
dizaines de carcasses calcinées et autant de cadavres, il a une vue dégagée,
mais les longs canons des chars russes T34 peuvent aisément le toucher, même
s’ils visent les panzers qui se replient vers l’ouest.
Au nord, il
aperçoit la trentaine d’hommes rescapés de sa division. Il les a dirigés vers
la forêt, faute de meilleur abri. Une poignée de chars panther, les plus
mobiles de l’armée allemande, fait vrombir ses moteurs pour se quitter la
plaine au plus vite.
Le
sifflement d’un nouvel obus retentit. Un char panther, couvert de boue et déjà
cabossé sur le flanc gauche, est touché. La chenille gauche éclate en petites
tiges de fer qui s’éparpillent sur la plaine. Le blindé, soulevé par le
souffle, s’affaisse sur son flanc. Karl s’y dirige, espérant à la fois
s’abriter derrière la carcasse, et voir si le pilote du char a survécu.
Juste avant
que le major arrive jusqu’au panther, l’écoutille s’ouvre dans un long
grincement et un homme en sort et se jette au sol. Le major s’arrête juste
devant lui et s’accroupit. Sur son épaule, il distingue la couleur vert pré des
Panzerdiviszions. Il lui tapote sur le bras. L'homme réagit aussitôt en
tournant la tête vers lui.
— Major
Friedmann, entame-t-il, trente-et-unième division d'infanterie. Tu peux te
lever ?
— Adjudant
Fleiser, neuvième blindée. Oui, je crois que ça ira, Major.
Les deux
soldats se taisent et regardent la progression ennemie. Les T34 avancent vite.
Dans leur sillage, une masse progresse et devient visible à l’horizon. Il ne
faut surtout pas s’éterniser sur cette plaine.
— Alors, on
y va adjudant, ordonne le Major en se remettant sur ses pieds tout en restant
penché. Suis-moi !
La terre
n'est pas trop humide, ils peuvent courir. Friedmann voit ses hommes, à
plusieurs centaines de mètres, aux abords de la forêt. Il se retourne
brièvement, constate que Fleiser est bien dans son sillon et poursuit sa course.
Deux nouveaux obus s’abattent, loin derrière eux. À l’ouest, les derniers
panzers achèvent de se replier, on entend à peine le vrombissement de leurs
moteurs, maintenant.
La
trentaine de soldats de la Wehrmacht attend son Major. Leurs uniformes sont
couverts de boue et de sang Certains sont noircis par le feu ou la graisse des
chars derrière lesquels ils se sont abrités. Quelques hommes ont de petites
plaies ouvertes au visage ou aux mains. D'autres portent déjà des bandages,
comme Günter, qui craint de perdre son œil gauche. La mine basse, ils ne
parlent pas. Le choc de cette déroute les a assommés, tout autant que cet ordre
du Führer de se replier. Après tant de mois de préparatifs, en dix jours,
l'Opération Citadelle se solde par un terrible fiasco.
Dès lors,
le rôle de Karl est de maintenir ses hommes en vie, de leur permettre de se
retrancher vers une place forte et fermement tenue par la Wehrmacht. Son regard
balaie ses troupes. Tous sont debout et attendent ses instructions, sauf Otto,
son sous-officier chargé des transmissions radio. Il est assis, jambes tendues,
au pied d'un arbre. Son visage grimace de douleur. À côté de lui, accroupi et
focalisé sur la jambe gauche, un homme à lunettes affiche un faciès inquiet.
— Qu'est-ce
qu'il a ?
— Au moins
une balle dans la jambe, Major. Peut-être deux, difficile à voir.
— Je peux
marcher, Major ! J'ai de quoi me faire des béquilles, ça va aller, crie le
blessé pour couvrir le son de nouveaux obus qui éclatent à quelques dizaines de
mètres d'eux.
— D'accord
Otto, alors on y va. Wilhelm, tu restes avec lui.
L'homme à
lunettes opine du chef. Friedmann appelle à lui deux soldats et un sergent-chef
et leur confie la tâche d'ouvrir la marche dans la forêt qui se dessine devant
eux.
— Où
va-t-on ? demande l'adjudant Fleiser.
— Pour le
moment, on se retranche dans la forêt, là ou les blindés russes ne viendront
pas nous chercher. Ensuite, j'aviserai.
—
Excusez-moi, Major, intervient un jeune homme blond au visage osseux, mais ne
devrions-nous pas tout faire pour ralentir l'ennemi ?
Sa remarque
fait se retourner plusieurs soldats qui adressent à son dos un regard noir.
— Nous
sommes trente fantassins, sergent Klemper. Ils sont des milliers à venir du
nord-est, avec du mortier et des chars. Les ordres sont de se replier, alors on
se replie.
L'éclatement
d'un obus à quelques dizaines de mètre d'eux fait sursauter le sergent.
— Et nous
n'avons pas de temps à perdre, achève Karl. Alors en route, en silence et au
pas de charge.
Extrait 2 : Briefing.
Le visage carré d'Otto grimace
sous la douleur. Fermement appuyé sur d'épaisses béquilles, il suit Igor,
tandis que Karl ferme la marche. Les trois sous-officiers posent leur paquetage
et tendant une toile épaisse sur laquelle ils pourront s'asseoir. Dans un
silence presque total, les soldats les imitent. Otto sort la radio de son sac
et pousse un juron.
— Qu'est-ce
qu'il y a ?
— Elle a
pris une balle !
Le Major se
penche sur l'appareil au plein milieu duquel s'est foré un large trou. L'œuvre
d'un fusil d'assaut, pense-t-il.
— Essaie
quand-même. Appelle la sixième division d'infanterie.
Otto
manipule l'appareil qui ne répond pas. Il lève vers Karl un regard désolé.
— Nous
voilà sourds et muets, maintenant, commente Igor.
— C'est pas
le moment d'être négatif. On est en vie, ce n'est déjà pas rien.
Igor baisse
les yeux.
— Désolé,
tu as raison, Major.
— Bon,
faute de radio, voyons ce qu'on peut faire.
Il déploie
une grand carte de la région, aidé en cela par Otto qui tient le coin supérieur
gauche et Igor qui prendre la pan droit. Toute la région y est représentée,
depuis Kharkov au sud jusqu'à Kirov et Toula au nord. Ils sont au bas de la
forêt de Briansk, longue étendue boisée avec laquelle certains d'entre eux ont
eu l'occasion de faire connaissance.
— Déjà,
entame Karl, pas question d'aller à l'est.
— On peut
basculer à l'ouest, vers le QG du General Model, propose Otto. C'est ce qu'il y
a de plus proche.
— Je ne
sais pas. Je ne vois pas Model retourner là-bas.
— Tu veux
remonter sur Briansk ? demande Igor.
— Ça me
semble la meilleure option. On peut progresser à couvert et on tombera sûrement
sur des hommes de Lemelsen ou de notre General Zorn.
— Tu ne
veux vraiment pas aller au sud ?
— Non, mon
vieux. Je te rappelle que ça ne s'est pas mieux passé pour le General Hoth et
ses troupes que pour nous. Si les soviets ne sont pas cons, ils vont essayer de
nous prendre en tenaille. Je sais que tu n'aimes pas cette forêt, Igor, mais on
la connaît, au moins en partie. Briansk est à nous, bien gardée.
— Environ
cinquante kilomètres à vol d'oiseau, dans ce merdier, soupire Otto.
— Wilhelm
va s'occuper de ta jambe, mon vieux. On ne te laissera pas moisir ici.
Otto lui
adresse un regard de gratitude. Le haut de sa cuisse gauche est maintenant
enserré dans une sangle très serrée. Son pantalon est lacéré, sans doute par un
coup de couteau, et laisse voir une plaie rougie, fraîchement nettoyée. Le trou
causé par la balle est aussi large que celui qui a détruit la radio.
— On fait
halte où on y retourne tout de suite ? demande Igor.
— Je
préfère qu'on se remette en mouvement tant qu'il fait jour. Comme l'a dit Otto,
on a cinquante bornes à vol d'oiseau. On ne pourra pas aller tout droit, il y a
des marécages en plein milieu. Quelles sont les rations de bouffe ?
— Deux
jours. Trois en se rationnant, répond Igor.
— On ne se
rationne pas. Dans deux jours, on est à Briansk. Il y avait quelques sentiers plutôt
praticables, un peu plus loin. Si on les retrouve, on avancera plus vite. On
doit pouvoir faire trente kilomètres par jour, peut-être plus.
À ces mots,
Otto lève les yeux vers le Major.
— Je sais
mon vieux, trente bornes sur des béquilles, c'est pas la fête. On va t'aider.
— Tu sais
bien que…
— Je sais,
tu n'aimes pas qu'on t'aide, tu préfères aider les autres.
— Puis je
pèse plus de cent kilos, je ne suis pas un cadeau à transporter.
Sa remarque
fait naître un sourire sur les bouches d'Igor et Karl.
— On va
aller voir Wilhelm. Igor, tu organises les gars. On fonce plein nord, on
cherche les sentiers que les hommes du General Zorn avaient trouvés. Ils ne
doivent pas être bien loin.
Igor
acquiesce, mais son regard rappelle à Karl que le sergent-chef souhaite lui
parler plus en détail de cette histoire de forêt maudite.
— Je fais
le point avec notre infirmier et je te rejoins, conclut-il.
Extrait 3 : Mama Olienkov.
Contexte :
La marche se poursuit à travers la forêt, en attendant de trouver le sentier dont Karl se souvient. Igor a laissé deux conscrits tchèques, Alexej et Benedikt, ouvrir la marche. Il commence à raconter à Karl pourquoi sa Mama a fait partir sa famille de la Russie pour l'Allemagne.
Extrait :
— Elle était tsariste, ta Mama ?
— Non, répond Igor. Elle était voyante.
Karl fronce les sourcils et considère Igor, cherchant en lui des traces de mensonge. Il réalise soudain que jamais le sergent-chef ne lui avait parlé du métier qu'exerçait sa mère.
— Tu ne m'avais pas dit.
— Les mystiques, voyants et autres ne sont pas toujours bien vus, et leurs enfants non plus. Mais, après tout, même le Führer consulte des voyants. Et puis je veux que tu comprennes bien pourquoi je te dis tout ça.
Le Major se tait à nouveau et laisse son sergent-chef poursuivre son explication, à voix de plus en plus basse.
— Les voyantes parlent aux esprits. C'est ainsi qu'elles apprennent quantité de choses. Elle a su que Lénine et ses hommes allaient répandre la terreur dans la Mère Russie. Que ceux qui ne seraient pas d'accord avec eux seraient punis et qu'il fallait partir. Mais c'était la fin de la guerre, pas la période la plus facile pour émigrer. Elle a accouché de moi en février 1918 pendant que mon père faisait tourner sa boucherie à plein régime pour amasser de l'argent, et dès qu'elle a pu, elle est partie pour s'installer chez les cousins près d'Orel. C'était déjà plus calme. Elle a attendu le mois d'octobre pour se remettre en route vers l'Allemagne. Elle m'a raconté que, pendant qu'elle était à Orel, elle a été attirée par la forêt de Briansk. Elle sentait les esprits. Mais elle n'a pas osé les approcher, elle sentait trop de colère chez eux.
Karl conserve le silence pendant quelques secondes. En une poignée de minutes, il vient d'apprendre beaucoup de choses sur Igor, qu'il connaît depuis le début de l'invasion de la France. Il comprend mieux maintenant pourquoi le sergent-chef est superstitieux.
— D'accord, je comprends mieux pourquoi tu me dis tout ça. Mais maintenant, Igor, on fait quoi ? Je veux dire, tactiquement, à part traverser la forêt jusque Briansk, qu'est-ce qu'on peut faire ?
C'est au tour d'Igor de se taire. La pénombre gagne encore du terrain. La nuit na tardera pas à tomber et compliquera la progression de leur troupe.
— Il faut être très vigilant, c'est tout. Si tu vois des arbres très noueux, ou plusieurs arbres morts côte à côte, c'est un signe. Il ne faut pas s'en approcher. C’est ce que Mama m’a appris.
— Bon, d'accord. De toute façon, tu restes en tête de la troupe. S'il faut contourner certains arbres, tu passes la consigne.
Le sergent-chef opine du chef. Son visage se détend un peu, il est content que Karl l'ait écouté.
— Major ?
— Oui ?
— Tu ne parles pas de ça, d'accord ? C'est entre nous deux seulement.
Igor se prend les pieds dans une racine, et manque de tomber. Karl le rattrape sous le bras et prend appui sur un tronc d'arbre pour s'aider à le relever.
— Ça reste entre nous, lui murmure-t-il.
Le sergent-chef se remet debout et accélère pour rejoindre les hommes de tête.
L'espace d'un instant, Karl s'arrête, un peu troublé par ces étonnantes révélations. À nouveau, il ne sait que penser des propos de son sergent-chef. Il est convaincu de ce qu'il dit, et deviendrait presque convaincant. L'adjudant et les cinq soldats passent devant lui, enjambant la racine dans laquelle Igor s'est pris les pieds. Elle ressort largement du sol, d'une bonne quinzaine de centimètres. Dans la pénombre, elle est très difficile à voir.
Il crie à l'intention des hommes de queue de s'en méfier. Puis, il regarde le tronc penché sur lequel il a pris appui. En fait, il semble s'agir de deux arbres, dont les troncs se sont entrelacés et qui forment un arc sous lequel les soldats sont en train de passer.
Il ne peut s'empêcher de se demander si, du point de vue d'Igor, cela constituerait un arbre noueux. Puis il se souvient qu'il n'est pas superstitieux. Il a permis à son sous-officier de contourner les arbres qu'il juge suspect dans le but de le rassurer. Lorsque Werner passe, les yeux rivés sur le sol, Karl lui emboîte le pas.
Extrait 4 : Extraction (public averti).
Contexte :
Le sentier a été trouvé, mais le groupe a un problème. La blessure d'Otto, causée par une balle ennemie, le fait beaucoup souffrir. Robuste, il parvient à suivre le rythme grâce à des béquilles improvisées, mais il ne tiendra pas jusqu'à Briansk. En accord avec Wilhelm, un appelé qui était infirmier dans le civil, la décision est prise de tenter de lui enlever la balle, avec les moyens du bord, et sans anesthésie.
Extrait :
Wilhelm
prend une profonde inspiration et attrape sa bouteille d'alcool. Il en fait
tomber un filet juste sur la plaie. Otto serre les dents et gémit. L’infirmier
demande la lumière à Karl qui ramène sa lampe à vingt centimètres de la plaie,
en prenant soin de ne pas masquer la vision de Wilhelm. Le silence est total.
Une pince
métallique aux bords élargis, semblable à de petites cuillers, plonge dans les
chairs du sergent chef, Wilhelm prenant soin de toucher les chairs le moins
possible, mais il doit s’assurer que le trajet pour sortir la balle sera droit.
Lentement, il enfonce son outil, regard rivé sur la plaie. Déjà, Otto bande ses
muscles et il doit le rappeler à l’ordre. Le sergent-chef souffle bruyamment et
se détend un peu. La pince poursuit son trajet jusqu'au moment où elle touche
quelque chose. Quatre bons centimètre de muscle le sépare de la balle, évalue
Karl.
Wilhelm donne l'ordre de
maintenir. Les quatre hommes appuient de tout leur poids sur les membres d'Otto
tandis que l'infirmier ouvre les lamelles de sa pince. Le métal s'enfonce dans
les chairs. Le sang monte de la plaie et s'écoule sur la cuisse. Otto se
retient de crier jusqu'au moment où Wilhelm touche la balle. Son hurlement est
un râle puissant, sa cuisse droite se soulève de quelques centimètres avant que
Fleiser la ramène au sol.
L’infirmier
plonge une petite pince dans le creux formé par la plus grande. D’un geste
rapide, il la referme sur le projectile, et parvient à la soulever de quelques
millimètres. Aussitôt, Otto bande sa cuisse et referme le tunnel de chair.
—
Détends-toi, Otto, demande l'infirmier d'une voix douce.
— J'essaye,
putain, j'essaye !
Malgré ses
affirmations, le sergent-chef contracte ses muscles de plus belle. Wilhelm
attend quelques secondes, immobile au-dessus de la plaie sanglante.
— Qu'est-ce
qui se passe ? demande le Major
—
Il y a trop de pression, major. S'il ne se
détend pas, je n'y arriverai pas.
—
Sergent-chef, détend-moi cette guibole !
La cuisse
s'agit de soubresauts. Le muscle se détend puis se retend aussitôt. Soudain,
comme si le système nerveux d'Otto avait enfin compris le message, le vaste
externe se relâche à nouveau. La balle glisse de la pince et retombe d'un
demi-millimètre avant que le muscle se bande à nouveau, l'empêchant de retomber
sur l'os.
Wilhelm
éponge le sang de son mieux, mais malgré le garrot, celui-ci continue de
suinter. Il reprend son souffle et plonge une fois de plus son outil dans les
chairs à vif du sergent-chef. Il parvient à nouveau à saisir la balle, mais
cette fois, Otto hurle et contracte tous ses muscles. Malgré les demandes de
Wilhelm et les ordres de Karl, c'est à peine si l'étau de son quadriceps se
desserre.
— Et merde
! s'écrie Wilhelm.
— Tu ne
peux rien faire ?
— Si, mais
tant pis pour lui.
Sans donner
plus d'explication, l'infirmier amène une nouvelle pince, plus large, sur la
plaie. Il la pose sur les bords de la chair, faisant crier Otto de plus belle.
— Tenez-le
de toutes vos forces, les gars, demande Wilhelm.
— Tu fais
quoi, bordel ! hurle Otto.
— Dans dix
secondes, tu seras débarrassé de ce truc.
Karl
déglutit. D'un geste sûr de la main gauche, l'infirmier plaque la grande pince
contre la plus petite. Il en écarte les branches avec ses deux index, puis, à
l'aide de son pouce, la maintient ouverte. Otto pousse des hurlements de
fureur. Les quatre hommes peinent à le maintenir en place. Ses spasmes agitent
les piquets en métal et font danser les lumières au dessus de lui. Wilhelm
reste concentré sur sa tâche. Il a sorti la première pince qui lui tenait lieu
d’écarteur et s’empare de l’outil qui enserre la balle, d'un geste lent et
précautionneux. La plaie est grande ouverte et du sang coule généreusement.
Malgré tout, l’infirmier remonte la balle hors de la cuisse d'Otto. Enfin, il
relâche la pression de la seconde pince et la retire. La plaie se referme sur
un léger flot de sang, vite épongé, tandis que les plaintes du sergent-chef cessent.
— Ça y est,
mon vieux, t'es tranquille lui lance Karl tandis que Wilhelm présente la balle
à ses yeux.
Derrière et
autour de lui, des applaudissements se lèvent. Il se tourne vers l’extérieur et
découvre une demi-douzaine de ses hommes, à quelques mètres de la bâche où Otto
est allongé. Ils ont gardé le silence durant toute l’opération.
—
Le spectacle vous a plu ?
— On est désolé, Major, répond
Harald, un grand soldat très mince avec son fort accent autrichien, mais c’est
la faute au sergent-chef Kelswehr, il empêche tout le monde dormir.
Des rires fusent dans les rangs,
y compris chez Wilhelm. Karl tourne son regard vers Otto qui sourit.
Extrait 5 : Les hurlements d'Otto (public averti).
Contexte :
La première nuit est tombée, plongeant la troupe dans un noir profond. Suite à l'opération d'Otto, des tours de gardes sont organisés pour surveiller le campement. Les soldats vont pouvoir dormir un peu. Parmi les sous-officiers, c'est Karl qui effectue le premier tour de garde, lampe à la main.
Extrait :
Son tour de
garde commence. Il sera ensuite relayé par Igor, dans un peu moins de trois
heures et en profitera pour dormir un peu. Ensuite, il reprendra les commandes.
Alors qu'il
revient vers la clairière, jonchée de tentes en toile kaki, le faisceau de sa
lampe se pose sur l'endroit où se tenait la bâche sur laquelle Wilhelm a opéré
Otto. Il n'aurait pas pensé que le jeune infirmier parviendrait à extraire
cette balle avec une telle maîtrise. Il a sous-estimé son sang-froid.
Un
hurlement puissant retentit et le fait sursauter. Son cœur s'emballe aussitôt.
Il se retourne et en cherche la provenance. Quelques secondes de silence
précèdent un nouveau cri, plus aigü et plus effroyable encore.
On dirait la voix d'Otto !
Le son provient de sa gauche.
Wilhelm jaillit de sa tente et se précipite droit devant lui. Karl le suit. Un
nouveau cri, éraillé, terrifiant. Otto roule sous sa tente et se fige sur
l’herbe. Tous deux y parviennent et s'accroupissent devant lui. Le sergent-chef
est allongé au sol, juste vêtu de son slip, yeux exorbités, bras et jambes en
croix.
— Otto !
Qu'est-ce que si passe ?
Un
hurlement éraillé et surpuissant lui répond. Le major déglutit, son regard
cherche à analyser ce qu'il voit, à y trouver un sens.
— Non ! glapit
Otto. NOOOON !
Wilhelm se
précipite dans la tente et s'agenouille à côté du flanc du sergent-chef. Il est
torse nu, en nage.
—
Sergent-chef, qu'est-ce qui se passe ?
Otto ne lui
accorde pas même un regard. Ses yeux exorbités sont rivés vers le ciel nocturne.
Un violent spasme le secoue et ses abdominaux se contractent avec force. Il
décolle son avant-bras gauche du sol, bandant son biceps et ses pectoraux comme
si cet effort était très difficile. Il hurle à nouveau et son poing s'abat
contre la terre avec puissance.
Igor arrive
en trombe aux côtés de Karl. L'espace d'une seconde, le Major l'observe. Il a
le même regard d'effroi que l’homme qui se débat à terre.
— NOOON,
PAS ÇA, NOOOON ! hurle Otto
Son thorax
et son abdomen se décollent du sol, ainsi que son bassin. Il serre les jambes
puis les écartent d’un mouvement vif. L’impression que son sous-officier est
possédé traverse l’esprit de Major. Une trainée de sueur froide coule le long
de son cou. D’autres soldats accourent et se figent devant l’effrayant
spectacle.
— Wilhelm,
qu'est-ce qu'il a ?
— J'en sais
rien, Major, j'en sais rien !
L’infirmier,
bouche grande ouverte, observe l’homme qu’il a soigné, son regard passant de la
tête aux pieds à toute vitesse.
— Il faut le
calmer nom de Dieu !
Otto se
déhanche au moyen de mouvements saccadés. Il serre les dents sous l’effort
colossal qu’il est en train de livrer. Ses yeux s'injectent de sang.
— NOOOON
PITIÉÉÉ !!!
Son corps
se tortille une nouvelle fois puis retombe au sol dans le plus atroce cri de
douleur et de terreur que Karl ait jamais entendu. Soudain, Otto se replie sur
lui-même, les mains pressées contre son entrejambe. Il ne hurle plus, mais
pleure. Il gémit le mot "Non" sans arrêt.
— Wilhelm,
fais quelque chose !
Le jeune
infirmier reste bouche bée, effrayé comme tous les autres devant ce spectacle
incompréhensible. Otto se retrouve à nouveau sur le dos, membres écartés. Ses
yeux emplis de larmes fixent à nouveau les étoiles. Sa mâchoire tremble, ses
muscles sont tendus à leur paroxysme.
Karl se
précipite sur lui et pose sa main sur le torse du sergent-chef. Son corps est
glacial, mais il sent son rythme cardiaque très rapide.
— Otto,
répond-moi !
Il ne le
regarde pas. À nouveau, ses yeux s'écarquillent.
—
Salopards, sanglote-t-il.
L'instant
d'après, son corps se détend d'un seul coup. Ses jambes et ses bras s'étalent
sur l'herbe, inertes. Son visage garde l'empreinte d'une terreur profonde. Le
cœur de Karl manque un battement, ses yeux s’exorbitent.
— Otto !
OTTO !!!
Wilhelm se joint au major et se
penche sur le sergent-chef inanimé. Son regard chargé d’impuissance croise
celui du Major.
Je viens de lire les cinq extraits d'affilée en grignotant mon dessert. C'est extra et très prenant. M'en vais prolonger le dessert,du coup, pour lire la suite ! ^^
RépondreSupprimerMerci Dominique ! <3 Ah mince, du coup je vais ruiner tes efforts matinaux... Mais après tout, fais-toi plaisir ;)
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