mercredi 30 mars 2016

Vivre de sa plume, la suite (partie 1/4)

Il n'y a pas si longtemps, je vous ai proposé un article intitulé "Vivre de sa plume". Devant le tableau que j'y dressais, plusieurs d'entre vous m'ont invité à explorer les voies alternatives à l'édition classique, afin de compléter le panorama. Joli challenge, que j'avais envie de relever.
Seul hic, je ne connais pas grand chose à ces voies alternatives (en particulier la plus connue, l'autoédition.) Je n'avais pas envie de m'improviser expert non plus. Enfin, je ne souhaitais pas me limiter à ce seul domaine.
J'ai donc réfléchi à la meilleure manière d'élargie l'horizon de ce premier article. La meilleure, à mon sens, est encore de donner la parole à celle et ceux qui connaissent certains pans de l'activité d'auteur, afin qu'ils nous racontent, à vous comme à moi, leurs expériences.
Les quatre personnes que j'ai sollicitées ont accepté de répondre à une interview de mon cru. Je vous les présenterai au fur et à mesure de la publication sur ce blog de leurs réponses.

Ce soir, nous commençons par Arnaud Codeville, Web designer et écrivain qui a choisi la voie de l'autoédition pour ses deux premiers romans.

F. Ash - Bonjour, Arnaud, merci de m'accorder cette interview. Pour commencer, peux-tu te présenter ?

A. Codeville - Bonjour à tous, je suis Arnaud CODEVILLE, j’ai 35 ans. Il m’est difficile encore aujourd’hui de me présenter en tant qu’auteur, mais il faudra bien que je m’y fasse un jour J. Je suis donc auteur de romans de terreur/fantastique.



F. Ash - Sur ton site, tu expliques avoir écrit ton premier roman, « La tour de Sélénite » dans le but de faire un cadeau d'anniversaire à ton père. Aujourd'hui, près de deux-mille lecteurs l'ont acheté. Que s'est-il passé entre-temps ?
A. Codeville - Oui d’ailleurs quand je lis ça, j’arrive toujours pas à y croire. J’étais persuadé d'en vendre au maximum une centaine… et là deux mille romans vendus, juste waouh ! Bon ok c’est pas 20 000 non plus, faut pas déconner ni se voiler la face. Je suis assez fier de la performance (oui pour une histoire qui ne devait pas sortir de la sphère familiale)

alors entre temps, j’ai parcouru le Nord-Pas-de-Calais (ou les hauts de France) en long et en large pour la promotion de la Tour. Entre temps, j’ai terminé l’écriture de mon prochain roman « 1974 » qui devrait sortir mi-avril.


F. Ash - Tu as tout de suite fait le choix de l'autoédition. Pourquoi ne pas avoir tenté ta chance auprès des éditeurs ?

A. Codeville - Disons que j’aime me renseigner avant de faire quoi que ce soit. J’ai lu des dizaines de témoignages sur le NET et ailleurs de personnes qui se plaignaient d’avoir eu pas mal de problèmes de soucis avec des maisons d’édition (mauvaises gestions de la diffusion, pas de pub et même certains auteurs n’ont jamais été payés.) Certains me diront : Oui, mais ne se plaignent que les gens mécontents… Ouais, c’est pas faux ! Mais avec tous les moyens dont nous disposons aujourd’hui (surtout internet et ses réseaux sociaux), je n’ai pas cherché plus loin. 

Depuis, on a essayé de me contacter pour être vraiment édité, mais pour l’instant, ça m’éclate de faire ça donc…

"La tour de Sélénite", le premier roman d'Arnaud.


F. Ash - Tu as choisi de travailler directement avec un imprimeur plutôt que d'utiliser les plateformes d'autoédition existantes. C'est plus rentable de travailler comme ça ?
A. Codeville - Oui j’ai peut-être un avantage, c’est que je suis infographiste. Du coup, je crée le bouquin de A à Z (de l’écriture [ouais, faut quand même pas déconner] à la couverture). Et j’ai eu pas mal de contacts avec des imprimeurs. Au début, je me suis même fait arnaquer, mais à force de persévérance, j’ai fini par dénicher un superbe imprimeur ultra pro et pour rien au monde, je ne le lâcherai ! Et oui c’est beaucoup plus rentable de bosser comme ça, mais à une seule condition : faut toujours et toujours travailler. Ne jamais rien relâcher !

F. Ash - Quand j'ai acheté ton roman, je l'ai trouvé au Furet à Villeneuve-d'Ascq. C'est difficile pour un autoédité de placer son livre chez un grand libraire comme le Furet ?
A. Codeville - Encore une fois, je prône l’autoédition, mais jusqu’à une certaine limite. Mon roman a été soumis à une lecture par plusieurs vendeurs. Et il possède toutes les caractéristiques d’un livre dit « édité » (ISBN, prix TTC, etc.)
Je conseillerai à tous les auteurs indépendants (je préfère ce terme) de faire très attention à la couverture de leur livre qui est en général la première chose qu’on regarde sur un livre. Mais aussi aux corrections et à la syntaxe.

F. Ash - Tu vends ton roman sur ton site et via les libraires que tu as convaincus, sans oublier les salons. Peux-tu nous dire lequel de ces canaux fonctionne le mieux pour toi ?
A. Codeville - Clairement c’est via mon site internet et Amazon en ebook que ça marche le mieux. En salon, ce n’est pas évident de vendre son roman, et comme je le dis souvent, je ne suis pas un marchand de tapis, j’ai du mal à alpaguer les gens (en fait, j’ai toujours l’impression de les embêter). Je préfère qu’ils viennent à moi plutôt que de les attraper au vol.

F. Ash - Pendant la période de promotion de La Tour de Sélénite, combien de séances de dédicaces as-tu réalisées ? Est-ce toi qui les demandais, ou étais-tu invité spontanément par des libraires ou des salons ?
A. Codeville - Une bonne vingtaine en moins d’un an. J’ai passé des heures et des heures sur les routes, mais au final l’expérience est énorme ! Quand tu rencontres des gens et qu’ils viennent te parler de ton roman, de tes personnages et que tu sens le même plaisir qu’ils ont eu à lire que moi à l’écrire. Je te jure que ça n’a pas de prix.
La moitié j’ai dû postuler (oui, oui avec une lettre de motivation, et dossier de presse.). Parfois je me suis fait inviter directement (je pense à Chris pour Atrebatia [si tu lis ça, je t’embrasse !]) et enfin échange de plans entre auteurs ^^

F. Ash - Lorsque tu es en dédicace, comment réagissent les gens qui ne te connaissent pas et découvrent que tu es autoédité ?
A. Codeville - Je dirais que seuls les gens qui sont dans le coup savent ce qu’est un autoédité. La plupart ne savent pas ce que c’est et s’en foutent royalement.

F. Ash - Tu fais tout toi-même en ce qui concerne la promotion et la diffusion de tes romans. Est-ce que ça n'alourdit par trop ton emploi du temps ?
A. Codeville - Si, mais c’est le prix à payer pour la diffusion de mon roman. J’ai mis plus de temps à écrire 1974 que la tour pour ces raisons-là.

"1974", le prochain roman d'Arnaud.


F. Ash - Tu paies les impôts et l'URSSAF sur les gains générés par tes romans. As-tu le statut d'autoentrepreneur ?
A. Codeville - Oui, monsieur ^^. Et encore une fois, c’est grâce à l’aide d’une amie auteur qui m’a filé tous les tuyaux pour me retrouver dans les méandres de l’administration. En remerciements, je file à mon tour un coup de main aux auteurs qui souhaitent emprunter le même chemin que moi (qui n’est pas de tout repos bien entendu J)

F. Ash - Est-ce qu'un jour, tu aimerais ne vivre que de ta plume ?
A. Codeville - Au début de la tour, je t’aurais répondu : non impossible, mais aujourd’hui, je prends de plus en plus de plaisir à écrire, raconter enfin mes histoires, les faire partager rencontrer mes lecteurs, donc je te répondrai que si c’est un rêve de vivre de sa plume, alors oui, j’aimerai le vivre !

F. Ash Merci beaucoup Arnaud. Je te souhaite tout le succès que tu mérites avec la Tour de Sélénite et avec ton prochain roman, « 1974 », à paraître le 13 avril 2016. Vous pouvez retrouver Arnaud sur son site : site : www.arnaudcodeville.fr 
et sur sa page Facebook : https://www.facebook.com/Auteur.ArnaudCODEVILLE/



Interviews de mes invités suivants :
Nadia Coste
Nathalie Bagadey
Agnès Marot

samedi 19 mars 2016

Vivre de sa plume ?

Le salon du livre de Paris a au moins un mérite : il fait parler des auteurs et de leurs conditions de vie. Et le moins qu'on puisse dire, que ce soit à propos du SDL ou de la vie des hommes et femmes qui y exposent, c'est que ça ne vend pas du rêve.
Déjà, l'affiche. Faisons un petit jeu : selon vous, laquelle est le bonne ?

Oui, difficile de se prononcer, je sais :) 


En parlant de ce cher SDL, savez-vous qu'il facture le droit d'entrer à 12€ par personne et prohibe l'entrée en son sein de romans qui n'auraient pas été achetés sur place ?
Sisi, je vous promets que c'est vrai. Tout est dans leur FAQ, y compris une énorme faute d'orthographe.
Voyons ça de plus près, parce que c'est quand même drôle :

> Est-ce que je peux rentrer avec mes livres dans le Salon ? Si oui, dans quelles conditions ? 
Vos livres ne seront pas acceptés sur Livre Paris et devront donc être déposés au vestiaire à l'entrée.
(lequel vestiaire vous sera facturé 2€ par livre si j'en crois les témoignages de quelques téméraires qui y sont allés.)

> Je suis au chômage, y-a-t-il un tarif particulier pour les demandeurs d’emploi ?Il n’existe pas de tarif « Demandeur d’emploi ». Les seules gratuités ou tarifs réduits sont réservés aux jeunes, aux seniors et aux groupes scolaires. 
(t'es chômeur, donc tu n'as pas le temps de lire et, de toute façon, t'as pas une thune pour acheter les bouquins qu'on vend. Casse-toi ! )

> Je suis enseignant ; il y a quelques années, j’avais pu rentrer gratuitement grâce à mon Passeport éducation, pourquoi n’est-ce plus le cas ? 
Nous avions alors noué un partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale. Ce partenariat n’éyant pas été reconduit, vous ne pouvez plus accéder gratuitement au Salon avec votre Passeport. 
(En rouge ; la méga-faute de la mort qui fait pas tache du tout. Moralité : fais pas chier et casque ! )

Pour les menus détails de l'organisation, j'ai également ouï dire qu'il n'est pas permis de sortir de la prison... Euh... Du salon plus de 2 fois par jour. Sinon quoi, d'ailleurs ? Il faut casquer 12€ pour avoir le droit de retourner à son stand ? Enfin, si vous voulez un avis autorisé sur la question, je vous renvoie au blog de Cristina Rodriguez et en particulier à cet article.
Je pense que ce n'est pas demain la veille que j'y mettrai les pieds. Même si un jour on m'y invite en tant qu'auteur, d'ailleurs ! 

Bref, revenons aux auteurs. 

Si j'en crois ce que j'ai entendu sur M6 à ce sujet, seuls 150 auteurs en France ne vivraient que de leur plume. 150 sur les 5000 qui sont soumis à l'AGESSA. Et je ne parle pas ici des autres, ceux qui gagnent moins des 8650€ de droits d'auteur et qui sont encore bien plus nombreux.

Vivre de sa plume ? Pas dans un pays où les droits d'auteur sont souvent très réduits. Parfois 4% dans la littérature jeunesse, toujours frappée par une sorte de syndrome de la femme au foyer qui écrit pour ses enfants et se fait publier dans la foulée mais qui, du coup, n'a pas besoin qu'on la rémunère. Oui, nous sommes bien au XXIème siècle, mais je comprends que vous vous soyez posé la question. Des claques qui se perdent, dites-vous ? Oh ! Si peu...


En France, la culture est devenue un secteur secondaire, qui n'intéresse plus du tout les politiques. Enfin sauf quand ils pondent des bouquins pour raconter qu'ils se sont fourvoyés pendant leur dernier mandat, qu'ils s'en excusent, mais qu'il faudra quand même voter pour eux. La littérature ? Qui en a quoi que ce soit à faire ? De toute façon, les vrais grands auteurs adulés par les bobos, ces Hugo, Zola, Ronsard, Verlaine et autres, sont morts. Leurs œuvres sont libres de droit. Alors on s'en fout, pas vrai ?
Oui, nous sommes toujours au XXIème siècle. Je vous préviendrai si ça change.
Car oui, notre pays a connu le siècle des lumières ! Notre pays se gargarise de sa riche littérature qui a fait le tour du monde. Notre pays est, forcément, le pays des écrivains, des penseurs, des génies de la plume. Et puis d'ailleurs, pour la plupart, ces grands écrivains crevaient de faim, écrivaient dans des conditions bien pires qu'aujourd'hui. Ça ne les a pas empêchés d'être auréolés d'une gloire immortelle. C'est sans doute ça, le destin de l'écrivain. Paria de son vivant, mais la postérité lui rendra raison.
Et pour les femmes écrivains, c'est encore mieux ! 
Déjà, grâce à Richelieu, les femmes sont des auteurs. Pas des auteurEs, mais des auteurs. Macho, le cardinal ? Si peu ! 
Ensuite, si une femme a le temps d'écrire des romans, c'est qu'elle ne travaille pas. Sinon comment ferait-elle, puisqu'elle doit faire les courses, la popote, le ménage et s'occuper des enfants ? Non, pas concevable. Si elle peut se permettre d'écrire, c'est qu'elle est une femme au foyer. Donc, que son mari gagne assez d'argent pour le lui permettre. Dès lors, on va la payer pour le principe et parce qu'on n'a pas le choix, mais pas trop. 4% si elle écrit de la littérature jeunesse. 6% pour le reste. Quoi ? Un à-valoir ? Oh, maman, t'as vu la vierge ?
Sisi , XXIème siècle. Tout pareil que depuis le début.

Fort heureusement, si les pratiques que je viens de vous décrire existent et sont largement répandues, il y a des exceptions. Oui, respirez, ça vous fera du bien. Certains éditeurs ont le respect de l'auteur, ne font pas de distinction entre les femmes et les hommes de plume, estiment que le travail mérite salaire correct et à-valoir.



Vous connaissez peut-être des auteures et auteurs qui ont la chance de travailler avec ce genre d'éditeur. Notez le nom de ces maisons et soumettez-leur votre prochain manuscrit.
Ce qui n'empêche que, pour entrer dans le microcosme des 150 auteurs qui ne vivent que de leur plume, il va vous falloir plus qu'un bon éditeur. Quelque chose qui ne se fabrique pas, ni ne se décrète. La chance !
Ce qui sépare un excellent roman d'un excellent roman à succès tient souvent au facteur X. J'irais jusqu'à dire que certains romans a succès ne sont pas d'excellents romans. C'est un autre débat, mais disons que l'excellence n'est pas toujours vecteur de succès en librairie.
Dès lors, si vous attendiez de ma part la clé magique qui ouvre la voie vers les 100.000 exemplaires vendus, je suis au regret de vous informer que je ne la détiens pas. Que personne ne la détient, pas même les auteurs comme Fred Vargas, Amélie Nothomb ou Michel Houellebecq qui atteignent et dépassent ce cap à chaque nouvelle sortie. Il semblerait simplement que, une fois que vous l'avez fait, ça devient plus facile la fois suivante. Parce que votre nom s'ancre dans la mémoire des lecteurs, devenus nombreux et qu'on parle de vous dans la presse généraliste.

Mais voyons les choses comme elles sont.
Dans beaucoup de contrats littéraires existe une clause qui veut que, plus vous vendez, plus votre pourcentage sur ces ventes augmente. Pour un petit nouveau, c'est souvent de 6 à 10%, pour un auteur un peu plus expérimenté, de 8 à 12%. Ces chiffres s'entendent en pourcentage du prix de vente hors taxe de votre roman. Cela ne concerne pas les stars de la littérature ou les ex-compagnes de président de la république. Mais vous n'appartenez sans doute pas à une de ces catégories, n'est-ce pas ?

Tirage initial : 200.000 exemplaires. 

Pour mieux comprendre ce qui vous attend, je vous renvoie à l'excellent article des éditions Humanis.
Vous l'avez lu ? Asseyez-vous, buvez un chocolat chaud, ça va passer.
Oui, 1% de chance de vendre plus de 2000 exemplaires de votre roman. Il vous en faudrait 25 à 30000 pour en tirer un revenu équivalent au salaire médian en France qui est de 2100€ net par mois. En sachant que, pour vendre autant, il vous faudra un éditeur qui travaille avec un gros distributeur. Donc votre chance de voir votre manuscrit accepté, si vous êtes un petit nouveau, sera de 2 à 5%

Vous n'aimez pas ou plus votre job ? Vous pensiez pouvoir le remplacer par le métier d'écrivain ?
J'ai bien peur que ce soit un peu compliqué. En revanche, au fil des années et des romans, vous allez vous faire un petit nom, bâtir un lectorat, vous assurer des revenus réguliers et une plus grand facilité à décrocher des contrats. Peut-être gagnerez-vous dans les 5000€ par an. Peut-être de quoi négocier avec votre employeur la possibilité de ne travailler qu'à 90 ou 80%.

Vivre de sa plume en France ? Dans vos rêves !