jeudi 18 septembre 2014

Chacun son (ses) genre(s) (Les Aventures de Hugues, partie 1)

Quand on commence à écrire dans les mondes de l'imaginaire, on pense que toutes les fantaisies sont permises, qu'on va investir un monde merveilleux, sans aucune frontière et pouvoir transcender tous les vieux codes éculés de la littérature classique sans se poser de questions.

Ben oui ! Après tout, un auteur comme Stephen King a fait du polar (Misery), du fantastique (Salem), de la SF (Les Tommyknockers) et même de la Fantasy (Les yeux du Dragon) sans que ça pose le moindre problème. Donc, si lui peut le faire, n'importe qui peut...

... non ?

(notez la chape de plomb qui s'abat sur le rêve du jeune auteur innocent, confronté au regard des libraires et des éditeurs)


Eh bien non ! 
La différence entre King et notre auteur Lambda (donnons-lui un nom, il va nous accompagner pendant tout cet article... On va l'appeler Hugues) est énorme. King a vendu plus de 300 millions de livres dans le monde entier. Hugues est connu de son père, sa sœur, ses petites cousines et la boulangère du quartier.
Si King sort un nouveau roman, ou même un recueil de nouvelles, quoi qu'il puisse écrire dedans, il le vendra sous l'estampille "Stephen King".
Si Hugues sort un roman ou un recueil de nouv... Ah non, il n'a aucun intérêt à sortir un recueil de nouvelles, ça se vend très mal en France. Alors mettons qu'il écrive un dyptique... Ah, non plus ! Ça se vend à peu près aussi bien que les recueils de nouvelles... Bon, Hugues sort un roman. Comme il n'a pas les yeux plus gros que le ventre, c'est un stand alone (oui, je sais, ce postulat n'est pas crédible, la plupart des auteurs débutants ont des projets de trilogie ou plus. Mais vous ferez avec ! )


Donc, tout fier de son roman de "littérature de l'imaginaire", notre bon et jeune ami Hugues au sourire débonnaire et à l'acné proéminent, se lance dans la joie et l'allégresse en quête d'un éditeur.
On va admettre que Hugues est fan de King et qu'il rêve d'être publié chez le même éditeur que son idole. Il veut donc envoyer son roman à Albin Michel.
Sa lettre de présentation pourrait ressembler à ceci :

     Cher Monsieur Michel,

    J'ai le plaisir de vous présenter mon premier roman intitulé "le premier roman de Hugues", qui relève des littératures de l'imaginaire, comme ceux de M. Stephen King. Je pense donc qu'il rentrera dans votre ligne éditoriale.
Je vous remercie par avance de l'attention que vous y accorderez.

     Bien Cordialement,

     Hugues.

Eh bien moi, je vous parie que notre pauvre Hugues n'aura plus un poil sur le caillou avant de recevoir une réponse !


Au bout de quelques semaines, Hugues sort de sa torpeur et commence à se demander s'il a bien fait d'envoyer son roman à M. Albin Michel. (Non, arrêtez de vous marrer au fond ! On a dit qu'il était innocent, jeune, toussa toussa... Soyez cléments, mince alors !) Il va donc demander conseil à son libraire préféré. Je vais être sympa, on va dire que son libraire de prédilection n'est ni Amazon ni Fnac, mais un brave et honnête libraire de quartier qui n'est pas allergique aux littératures de l'imaginaire. Si, ça existe ! Je peux le prouver !
Il explique donc à son libraire ce qu'il a fait et conclut par un tonitruant :
— J'ai bien fait, hein ?

Le libraire contient difficilement son rire, et passe ostensiblement la main devant sa bouche, feignant de se caresser le bouc pour masquer son sourire.
—Mais dis-moi, mon petit Hugues, c'est un roman de quoi que tu as écris, au juste ?

Là, le sourire de Hugues devient hésitant.
— Euh, ben c'est de l'imaginaire, quoi.

— Oui, très bien, mais quel genre d'imaginaire ? Science-fiction ? Fantasy ? Fantastique ? Uchronie ? Dystopie ?

La mâchoire de Hugues se décroche en silence. Le libraire, qui ne tient pas à perdre un de ses plus fidèles clients, prend une longue inspiration et explique au jeune auteur les différences entre ces différents genres. Comme c'est un homme très cultivé, il expliquer même à Hugues comment déterminer le genre de son roman. Mais comme Hugues est... disons... gentil, il simplifie :



— Alors, s'il y a de la magie, des magiciens, des sorciers, c'est surement de la Fantasy. S'il y a des histoires de mondes inconnus, de futur, d'extra-terrestres ou de vaisseaux spatiaux, c'est sans doute de la SF. Et enfin, s'il y a des monstres, des fantômes, des esprits ou des phénomènes irrationnels et inexpliqués, c'est certainement du Fantastique.

— Et s'il y a tout ça en même temps ? ose Hugues qui tremble à la seule idée de la réponse.

— Euh... Comment dire...T'es dans la merde jusqu'au cou !


À cet instant, Hugues se liquéfie, ses yeux se noient dans tes torrents de larmes, une cascade de sueur froide inonde chaque pore de sa peau et il perd 1D20 points de santé mentale d'un coup.
Malgré tout, notre brave libraire poursuit son analyse du texte du jeune Hugues, en dépit de son angoisse. Car il voit la nuit tomber par les vitres de son local et il sent bien que cette discussion est loin d'être finie ! Il s'avère que Hugues à écrit une uchronie faisant apparaître des éléments fantastiques et des histoires de civilisations extra-terrestres (oui, il n'a pas l'air comme ça, mais il est très fort, Hugues !)
Ne pouvant aller beaucoup plus loin dans l'analyse d'un roman qu'il n'a pas lu, le libraire lui conseille de se documenter et lui vend déjà "comment écrire de la Fantasy et de la Science-Fiction" par Orson Scott Card... Et l'intégrale de la Tour Sombre de Stephen King en livre de poche, parce Hugues lui a gentiment bouffé son après-midi avec son fichu roman inclassable qu'il a envoyé chez Albin Michel !


Hugues peine à se remettre d'un tel choc, mais il apprend beaucoup !
- D'abord que son roman qui se passe du temps des rois fainéants confrontés à d'abominables monstres qui sont revenus à la vie parce qu'une soucoupe volante qui s'était écrasée là, par erreur, du temps du crétacé, s'est mise à vibrer relève plus du genre "Fantasy". L'univers dominant est bien médiéval, les rois fainéants ont une tripotée de mages à leur service pour combattre les abominables monstres tentaculaires, et si on évoque la soucoupe volante, on ne la voit que très peu. 
- Qu'Albin Michel n'accepte pas les manuscrits relevant des littératures de l'imaginaire provenant de jeunes auteurs.
- Que beaucoup d'éditeurs acceptent les premiers romans de Fantasy écrits pas de jeunes auteurs (et là, l'espoir renaît en lui comme le phénix rejaillit de ses cendres)

Et pourtant, Hugues n'est pas au bout de ses surprises ! Et oui, ceci est un cliffhanger éhonté, voué à maintenir en vous, chers lecteurs une forte tension émotionnelle, car oui encore, cet article s'achève et je vous en livrerai la suite très bientôt, mais je préfère m'arrêter ici car il accuse déjà une certaine longueur !



À bientôt !

2 commentaires:

  1. Très intéressant, drôle et un peu doux-amer aussi.
    C'est rageant tout de même de devoir se conforter à des schémas préétablis car s'il ne s'agit pas de mélanger les genres à tout va sans raison, je pense que le roman d'Hugues pourrait plaire à certains ! La preuve : il lui plait à lui ! ;)

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    1. J'avoue que je n'ai pas demandé à Hugues si son roman lui plait... Enfin, j'imagine que oui. Maintenant, tu sais, c'est un petit jeune, encore très rêveur, et je ne sais pas comment il a agencé son oeuvre, mais il se peut que ce soit un peu fouillis :P

      Sinon oui, pour avoir la meilleure visibilité possible, il est préférable de rentrer dans les cases, ou de créer sa propre case. Mais à coeur vaillant - et plume affûtée - rien d'impossible !

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